N°2 | Mutations et invariants – I

Monique Canto-Sperber
Le bien, la Guerre et la Terreur
Paris, Plon, 2005
Monique Canto-Sperber, Le bien, la Guerre et la Terreur, Plon

En conclusion de La Barbarie à visage humain, ouvrage emblématique de ce que l’on a alors appelé les « nouveaux philosophes », Bernard-Henri Lévy écrivait en 1977 : « Il est temps, peut-être, d’écrire des traités de morale. » Dans l’ambiance qui mariait alors mystique révolutionnaire et injonction libertaire, le propos relevait de la provocation.

Et puis voici que paraissent, à quelques mois d’intervalle, deux livres qui, s’ils ne sont pas des « traités de morale » à proprement parler, sont en tout cas des ouvrages de réflexion morale. Et nul ne songera à les considérer comme décalés par rapport aux préoccupations de l’heure ; bien au contraire, ils surviennent à point nommé dans un monde qui cherche ses repères.

Il paraîtra insolite de rapprocher ainsi deux textes apparemment fort dissemblables, à la fois par leur objet et par leur économie générale. Si le livre de Monique Canto-Sperber est un essai qui veut nous faire réfléchir à une morale de l’action internationale, celui d’Henri Hude est en effet un manuel didactique qui propose un corpus éthique à l’usage de tout homme ou femme en situation de responsabilité.

Mais, au-delà des apparences, une même problématique les réunit : celle qui résulte de l’ambition de concilier, dans l’action, une même foi en l’homme et en sa dignité, une aspiration à œuvrer pour un monde meilleur et un principe de réalité qui envisage le monde tel qu’il est, avec ses ombres et ses lumières, dans son intrinsèque complexité.

Chez Henri Hude, la référence est explicite : c’est la pensée d’Aristote, avec, pour fil conducteur de son éthique, la philia, cette « amitié » seule susceptible de fonder un lien social authentique et profond.

Quant à Monique Canto-Sperber, l’ambition de son livre est de suggérer, pour les relations internationales et devant la ruine d’un « idéal de coopération mondiale pacifiée, fondée sur un universalisme moral sans nuances », un idéal moral qui rompe l’alternative entre un « relativisme fataliste » et un « unilatéralisme… succédané d’universalisme ». Or, n’est-on pas là dans une attitude aristotélicienne ? Pour Aristote, en effet, la « vertu » a deux contraires, l’un par défaut, l’autre par excès…

Il n’est dès lors pas étonnant que nos deux auteurs se retrouvent dans une même réflexion sur la guerre, ce révélateur de la condition humaine dans sa complexité, son tragique et sa grandeur. (Pour Henri Hude, c’est bien le moins puisqu’il est directeur du pôle « éthique et déontologie » du Centre de recherches de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr-Coëtquidan.)

L’un et l’autre affirment la pérennité des principes séculaires du jus ad bellum et du jus in bello, ce code moral au cœur de la violence guerrière. Constatant que les guerres d’aujourd’hui sont de plus en plus « à prétention morale », Monique Canto-Sperber en montre la perversité ; pour elle, « la guerre juste doit valoir contre la guerre morale ».

Deux livres donc dont les thèmes se situent très largement dans le champ de cette revue et qui sont particulièrement stimulants pour la réflexion.


Gilles Andréani et P... | Justifier la guerre ?